La famille ignatienne réunit des personnes différentes, religieux et laïques, chacune avec sa propre vocation. « La 36ème CG reconnaît le rôle décisif de nos partenaires dans la vitalité de la mission de la Compagnie aujourd’hui et exprime sa gratitude à tous ceux qui contribuent aux apostolats jésuites et y jouent un rôle déterminant. Cette mission s’approfondit et ces apostolats se prolongent dans la collaboration entre tous ceux avec qui nous travaillons, notamment ceux qu’inspire l’appel ignatien. » (CG 36, décret 2, 6) Pour sa part, le document Pèlerins ensemble explique que « Nous sommes laïques, femmes et hommes. Nous sommes partenaires de Jésus au service de l’Église et de la société. »
Afin d’honorer cette diversité dans notre province, cette nouvelle série entend illustrer ce qu’être ignatien veut dire depuis différentes perspectives. Commençons avec Catherine Kelly, J.D., M. Div., responsable de la formation spirituelle, des retraites et des Communautés de vie chrétienne (CVX) à la paroisse St Mark’s de Vancouver.
« Le don de la spiritualité ignatienne a changé ma vie […]. Voir des personnes tomber amoureuses de Dieu à leur manière unique me stimule. » Pleinement engagée dans la spiritualité ignatienne, Mme Kelly met ici en lumière non seulement l’unicité de cette spiritualité, mais aussi comment elle est très pertinente dans le monde sécularisé et polarisé dans lequel nous oeuvrons.
Pourquoi vous être engagée dans la spiritualité ignatienne au point de travailler dans ce domaine ?
Le don de la spiritualité ignatienne a changé ma vie en m’apprenant à discerner l’invitation de Dieu, à vivre de manière authentique, à me connaître moi-même et à percevoir l’amour de Dieu. Accompagner d’autres personnes dans leur cheminement spirituel me révèle la myriade de façons dont Dieu agit dans la vie des gens : c’est immensément gratifiant, mais aussi une incroyable leçon d’humilité. Apprendre à écouter avec mon cœur, et pas seulement avec mes oreilles et ma raison, m’aide à reconnaître les murmures de l’Esprit dans ma vie et dans celle des autres.
Je souhaite partager avec le monde l’incroyable trésor de la spiritualité ignatienne. Voir des personnes tomber amoureuses de Dieu à leur manière unique me stimule. J’ai la passion de saisir les gens là où ils sont le plus vivants, comme un martin-pêcheur d’âmes (Matthieu 4, 19). Mon ministère de formation spirituelle ignatienne aide les gens à identifier l’endroit en eux où Dieu a semé ses désirs les plus profonds. Je les encourage à inviter Dieu à animer leur vie pour que leurs désirs de sainteté se réalisent et s’épanouissent dans la vie en plénitude (Jean 10, 10).
À quel point votre travail est-il marqué par la spiritualité ignatienne ?
Totalement. Sans doute d’abord à cause de ce que je fais : je dirige des retraites ignatiennes et je suis co-animatrice de quatre Communautés de vie chrétienne, j’offre de la formation spirituelle aux individus et aux responsables de groupes, je donne les Exercices spirituels ainsi qu’un accompagnement spirituel personnalisé. Mais pas seulement, car la spiritualité ignatienne influence aussi ma façon de travailler, mon approche : le Principe et fondement d’Ignace est quelque chose que nous pouvons exploiter pendant des années en prenant conscience que tout nous est donné pour nous aider à connaître, à aimer et à servir Dieu et les autres. Si quelque chose ne nous aide pas, nous sommes libres de ne pas l’utiliser; j’invoque cette liberté lorsque j’offre des ressources aux gens : si cela vous aide, servez-vous-en. Sinon, laissez tomber.
Notre point de départ est l’amour inconditionnel de Dieu pour nous : la grâce incroyable de Dieu qui désire entrer en relation avec nous et nous combler de dons incalculables. Lorsque nous reconnaissons que notre être prend sa source en l’Amour, comme le dit Ignace, la réponse naturelle pour nous, c’est d’aimer en retour. Nous sommes destinés à nous unir à Dieu en aimant divinement et en voyant le monde à travers les yeux de Jésus Christ.
Quelles sont, à votre avis, les valeurs les plus typiquement ignatiennes (à comparer avec d’autres spiritualités) et comment les vivez-vous ?
Parmi les valeurs ignatiennes les plus singulières, il y a le principe qui veut qu’on prête à l’autre une intention positive. Dans l’Annotation 22, Ignace nous invite à supposer que les propos de l’autre peuvent recevoir une interprétation favorable, au lieu de les rejeter d’emblée. Cette attitude est particulièrement importante dans notre monde de communications électroniques où l’on ne peut ni voir l’expression du visage ni entendre le ton de la voix de l’autre. Or on peut facilement plaquer sur le message de quelqu’un d’autre une arrière-pensée négative ou un ton de voix hostile qui ne s’y trouvent pas.
Parmi les valeurs ignatiennes les plus singulières, il y a le principe qui veut qu’on prête à l’autre une intention positive.
Une autre valeur ignatienne unique est la souplesse d’adaptation : Ignace a toujours dit qu’on peut proposer les Exercices spirituels sous différentes formes en fonction des ressources et de la disponibilité du retraitant [Annotations 18 et 19]. Nous pouvons donc adapter la matière à chaque retraitant, ajuster la façon dont nous nous engageons dans le ministère, discerner ce qui est le plus approprié pour un contexte donné, bien conscients qu’une formule unique ne convient pas à tout le monde. Cette flexibilité et ce souci de bien lire les signes des temps afin de répondre avec créativité aux besoins d’un milieu donné ont aidé la spiritualité ignatienne à s’épanouir dans le monde entier depuis cinq siècles.
La spiritualité ignatienne est une spiritualité très pratique, destinée à des personnes qui vivent dans le monde, et non cloîtrées dans un monastère, à des individus par conséquent, laïques et religieux, qui s’engagent dans le monde et qui sont à la recherche de Dieu en toutes choses. Cette recherche de Dieu dans notre vie quotidienne, la chasse à la grâce pour ainsi dire, cultive une attitude positive et un sens profond de la foi. Apprendre comment Dieu communique de manière unique avec chacun et chacun de nous, revenir sur notre journée à travers l’Examen ou relire notre vie dans une perspective d’histoire de grâce nous fait découvrir la fidélité de Dieu, nous aide à percevoir comment l’amour, la présence, les dons et les invitations de Dieu nous ont amenés là où nous sommes aujourd’hui.
La spiritualité ignatienne, dans les Exercices en particulier, promeut une relation très personnelle avec la personne de Jésus Christ. Nous apprenons à connaître Jésus en entrant dans sa vie, en contemplant les scènes de l’Évangile, en nous inscrivant dans ces récits pour nous les approprier. Et bientôt, nous voyons Jésus entrer dans notre propre histoire, dans notre vie à nous, de la même façon qu’il est entré dans la vie des premiers disciples. Les mots de l’Écriture acquièrent une signification et une résonance personnelles qui évoluent et s’approfondissent au fur et à mesure que nous les méditons à différents moments de notre vie. Nous croyons que la Parole de Dieu est vivante et qu’elle rejoint notre vécu.
Par ailleurs, la spiritualité ignatienne peut facilement se vivre en communauté. J’ai ma famille, mais mon groupe CVX est, en un sens très réel, ma famille spirituelle. Nous arrivons à partager nos expériences et à parler de nos vies respectives avec un amour, une clarté et telle profondeur qui vont bien au-delà de ce que permettent l’amitié ou l’affection familiale.
Membre et co-animatrice de notre groupe CVX, Lynore McLean souligne que « la spiritualité ignatienne nous permet d’identifier et de nommer les esprits obscurs pour ne pas être influencés par eux dans la prise de décision ».
D’après votre expérience, la spiritualité ignatienne est-elle encore pertinente dans un monde sécularisé ? Pourquoi ?
Oui, sans aucun doute. La spiritualité ignatienne est un cadeau pour l’Église et pour le monde. Dans un monde sécularisé, certains aspects de la spiritualité ignatienne prennent un relief particulier, en cultivant notamment le sens de l’action de grâce : plusieurs personnes tiennent aujourd’hui des journaux d’action de grâce. La deuxième étape de l’examen, une fois qu’on s’est mis en présence de Dieu et qu’on a demandé à l’Esprit Saint de guider sa réflexion, consiste à remercier Dieu pour les petites et grandes bénédictions de la journée.
Dans un monde sécularisé, certains aspects de la spiritualité ignatienne prennent un relief particulier, en cultivant notamment le sens de l’action de grâce : plusieurs personnes tiennent aujourd’hui des journaux d’action de grâce.
Un autre don qu’on peut facilement appliquer, c’est le discernement : apprendre à reconnaître les facteurs qui motivent nos décisions, prêter attention à nos sentiments et à leurs messages, et chercher à maintenir l’équilibre en évitant de se laisser influencer indûment par un désir ou l’autre. J’invite souvent des personnes qui n’ont pas de pratique spirituelle régulière à examiner ce qui les inspire et ce qui les freine lorsqu’elles ont une décision à prendre. C’est là une reformulation profane et néanmoins très ignatien, et les gens s’y retrouvent plus facilement. Elle les aide à voir clair.
Dans un monde de plus en plus polarisé, un autre apport ignatien, c’est la conversation spirituelle en trois temps. […] Elle engendre un espace sûr pour le partage : un milieu où l’on puisse être écouté et écouter les autres. Cette démarche ne peut que rendre de grands services dans le cadre du processus de vérité et réconciliation au Canada.
Dans un monde de plus en plus polarisé, un autre apport ignatien, c’est la conversation spirituelle en trois temps, que diffusent les Communautés de vie chrétienne. À la base de cette démarche, quelques règles essentielles : on s’engage à pratiquer une écoute sacrée, à accueillir ce que dit l’autre sans le juger ni le commenter. Cela permet d’abord au locuteur de s’exprimer sans crainte et sincèrement, mais aussi à l’auditeur d’écouter en profondeur, sans se laisser distraire par la répartie brillante ou le mot de consolation qu’il interjetterait en réponse. Cette façon de faire respecte l’expérience et le point de vue de chaque intervenant. Elle engendre un espace sûr pour le partage : un milieu où l’on puisse être écouté et écouter les autres. Cette démarche ne peut que rendre de grands services dans le cadre du processus de vérité et réconciliation au Canada.
Une autre technique facile à appliquer, c’est l’évaluation que nous faisons à la fin des réunions CVX : qu’est-ce qui s’est bien passé et qu’est-ce qu’on pourrait améliorer ? Je connais des membres de notre équipe qui appliquent cette technique dans leur milieu de travail.
Comme le dit Lynore McLean, « le simple fait de s’efforcer de voir le bien, Dieu, en chaque personne et en chaque situation change la façon dont on interagit et stimule la positivité ».
Quelles consolations vivez-vous en tant que personne ignatienne engagée professionnellement dans la famille ignatienne ? Et y a-t-il des désolations ?
D’abord le fait de connaître et de fréquenter d’autres personnes qui partagent la même spiritualité. Je puis établir un contact profond avec d’autres personnes qui partagent cette spiritualité, par exemple lors des événements de la CVX mondiale. À l’échelle du monde entier, nous formons un seul corps dans le Christ. Et lorsque les gens apprennent à prier de cette manière et à s’engager dans le monde de cette façon, ils deviennent plus vivants, plus sereins, plus lucides, plus orientés. Comme le pêcheur chevronné qu’était Pierre, nous utilisons les dons que Dieu nous donne, nous faisons ce que nous savons faire, mais nous le faisons pour Jésus. Notre orientation est toujours le magis : la plus grande gloire de Dieu.
La désolation, au sens ignatien, c’est toute impulsion ou tout mouvement qui m’éloigne de Dieu. J’estime que la spiritualité ignatienne nous attire vers Dieu et qu’elle est donc fondamentalement une consolation. Bien sûr, j’ai connu des moments de désolation dans ma vie et dans mon ministère. Mais la spiritualité ignatienne n’est pas la source de ces désolations. La spiritualité ignatienne m’aide à reconnaître la désolation et me donne des outils pour la supporter.
Bien sûr, j’ai connu des moments de désolation dans ma vie et dans mon ministère. Mais la spiritualité ignatienne n’est pas la source de ces désolations. La spiritualité ignatienne m’aide à reconnaître la désolation et me donne des outils pour la supporter.
Parce que je partage la vision d’Ignace d’un Dieu créateur tout-amour, qui souhaite nous combler de grâces et nous attirer plus profondément dans la relation au Divin, il m’est pénible d’entendre des gens parler de Dieu comme d’un juge ou d’un despote injuste, ou qualifier d’échecs leurs efforts dans la vie spirituelle. Je crois que Dieu bénit le temps que nous consacrons à notre vie spirituelle. Je trouve difficile de voir des personnes se concentrer sur leurs fautes au point de négliger les grâces dans leur vie ; elles ne voient pas que ces péchés peuvent même être porteurs de grâce : ils mettent au jour des besoins sous-jacents et nous pouvons faire appel au Seigneur pour nous aider à y répondre sainement.
Quelqu’un est-il déjà revenu vous dire combien votre accompagnement l’avait aidé ?
Oui, une jeune femme, lors d’une retraite étudiante au cours de laquelle nous avons prié sur le fait que nous sommes les enfants bien-aimés de Dieu, sur la façon dont Dieu nous a voulus avant même que nous soyons dans le sein maternel. À la fin de chaque retraite, je demande aux participants de s’approprier une grâce, de nommer la grâce qu’ils ont reçue pendant la retraite. Une chose pour laquelle ils sont reconnaissants ou qu’ils emporteront avec eux pour renouveler leur vie quotidienne. À la fin de cette retraite étudiante, un jeune homme a éprouvé un profond sentiment de gratitude pour sa vie, sachant combien ses parents avaient désiré avoir des enfants et les années d’efforts qu’ils avaient mises pour finalement le concevoir. Une jeune femme, elle, était en larmes et n’arrivait pas à parler. Dans un contexte comme celui-là, je respecte le silence de la personne : il arrive que Dieu agisse en nous à une telle profondeur que nous n’avons plus de mots pour nous exprimer.
Quelques semaines plus tard, j’ai revu cette jeune femme. Je lui ai alors demandé si elle voulait partager avec moi la grâce qu’elle avait reçue pendant la retraite. Elle m’a dit qu’au moment de faire cette retraite, elle songeait à se suicider. Mais en apprenant combien Dieu l’aime, qu’il l’a créée par amour et qu’il a un plan pour sa vie, elle a pris conscience de la valeur de son existence et a renoncé au suicide. Cette grâce est probablement la plus profonde qu’on ait jamais partagée avec moi.