La technologie a cela de bon qu’elle m’a permis d’entendre le rire du frère Paul Desmarais, SJ, depuis la Zambie. Des livres sur l’agriculture (lecture de travail… et de ses temps libres) étaient empilés autour de lui, de son bureau à sa bibliothèque. C’est dans ce décor qu’il m’a raconté comment un jeune jésuite ontarien a révolutionné l’agriculture dans ce pays d’Afrique en offrant depuis près de 30 ans des formations en agriculture biologique.
Frère Desmarais a été pendant 50 ans directeur du Centre de formation agricole de Kasisi. Maintenant « à la retraite », il se prépare à donner l’an prochain une formation en ligne et sur le terrain à propos de l’agroécologie, dont les quarante premiers élèves proviendront du Ministère de l’Agriculture de la Zambie.
« J’aime beaucoup l’agriculture, et comme jésuite, on est aussi des professeurs. Si on met cela ensemble… J’aime cet ouvrage, j’aime voir les gens devenir de meilleurs fermiers. »
Comment êtes-vous devenu jésuite ?
Je suis né à Pointe-aux-Roches, près de Windsor en Ontario. On était fermiers depuis trois générations. J’aime bien travailler sur la terre. Quand j’étais en 4e année de la petite école, on a été à Windsor pour voir plusieurs groupes religieux qui présentaient leur travail. J’avais ramassé des papiers et j’étais bien content de lire des choses à propos des frères. Ça fait depuis ce temps-là que je veux être un frère religieux. J’étais pas mal jeune! J’ai toujours eu envie d’entrer au noviciat après la 13e année, ce que j’ai fait en septembre 1964 à Guelph. Pourquoi chez les jésuites ? Parce qu’ils étaient les plus proches de la maison (rire)! J’étais aussi très content avec eux.
Et pourquoi être frère?
C’est le Bon Dieu qui nous appelle et on répond à l’appel. J’ai toujours pensé que le Bon Dieu m’appelait à être un frère et pas un prêtre. Durant mes études, de temps en temps, mes supérieurs me demandaient si je ne voulais pas être un prêtre et je disais non, je veux être un frère.
Quelles circonstances vous ont mené en Zambie? Aviez-vous un désir de partir en mission?
Pendant mon noviciat, j’étais intéressé à aller aux Indes, à Darjeeling. Après mon noviciat, j’ai fait des études en agriculture à l’Université de Guelph. Durant ce temps-là, le Père Général à Rome a demandé à notre province d’envoyer des hommes en Zambie. Le Provincial m’a alors demandé si j’étais intéressé et j’ai dit oui. Je suis arrivé ici pour la première fois à l’été 1969 pour quelques semaines, comme je faisais encore mes études à l’université de Guelph. Je suis revenu en Zambie en 1971 et j’y suis depuis ce temps. J’ai toujours été très content d’être venu ici.
Notre province jésuite regroupe la Zambie et le Malawi.
Quand je suis arrivé ici, il n’y avait que quelques jésuites zambiens, et nous étions six jésuites canadiens. Désormais, il y a 120-130 jésuites dans la province : la plupart sont natifs d’ici (dont les derniers Pères provinciaux) et je suis le seul Canadien.
Comment vous êtes-vous intégré dans une nouvelle culture?
J’avais 25 ans quand je suis arrivé en Zambie, j’étais jeune, ce n’était pas si difficile de m’adapter à une autre culture, et la communauté jésuite était presque toute blanche. Aussi, dans les villages, le monde est très gentil, les gens m’ont accepté facilement, ça n’a pas été un problème.
Les premières années, je passais beaucoup de temps dans les villages et je connaissais pratiquement tout le monde. Dans les 15 dernières années, j’ai été vraiment occupé avec l’administration et je n’allais pas dans les villages.
Maintenant que j’ai quitté mon poste de directeur, j’espère que je vais avoir le temps de retourner visiter les gens. J’aime vraiment ça.
Quel a été votre travail au Centre de formation agricole de Kasisi?
Soixante pour cent de la population est rurale en Zambie, alors on ne peut pas travailler seulement dans les villes. À mon arrivée ici, le Provincial m’avait demandé de travailler avec les fermiers autour de la mission Kasisi.
J’ai commencé à les visiter dans leurs villages, mais j’ai vu que ce n’était pas toujours possible d’avoir des rendez-vous avec la vie quotidienne occupée des gens. On a alors démarré le Centre de formation agricole de Kasisi en 1974, avec des cours de 2 ans pour des familles. En 1995, on a commencé des cours de 5 jours ; les familles venaient le dimanche après-midi et partaient après le diner le vendredi. On a enseigné à plus de 12 000 personnes venant de la Zambie et des pays alentour.
C’est un travail consolant. Par exemple, il y a un monsieur qui m’appelle presque chaque jour. Il a fait un cours ici. On lui avait enseigné à faire de l’engrais agricole et il était bien intéressé. Dans son village, il enseigne à des jeunes et à des gens plus âgés.
Le centre a cinq départements : la formation de cinq jours au centre, la formation que des gens de notre équipe donnent dans les villages, la production sur notre terre de 800 arpents, la recherche sur l’agriculture biologique et le développement de valeur ajoutée, comme le fromage ou le yaourt à partir du lait de nos vaches.
Tous les trois ans, je retourne au Canada et je vais habiter chez mon frère et ma petite sœur, eux aussi agriculteurs. Ça me donne le temps de me reposer et aussi de voir le type d’agriculture qu’on fait au Canada. Je ramène beaucoup de ces idées ici et je les adapte pour à nos conditions.
Donc vous avez implanté l’agriculture biologique en Zambie?
Au commencement, quand je suis arrivé en 1971, on enseignait l’agriculture avec des engrais chimiques et des pesticides, parce que c’est ce que j’avais appris au cours de mes études à Guelph. Mais au milieu des années 1980, le P. David Shulist m’a demandé: « Mais pourquoi tu ne penses pas à l’agriculture biologique? » On a commencé à regarder ça, j’étais très intéressé. Quand je suis retourné au Canada en 1988, j’ai visité des terres où on pratique la culture biologique en Ontario.
Dans les années 1990, bien peu de gens s’intéressaient à l’agriculture biologique. On pensait que c’était un retour en arrière. Maintenant, ça a beaucoup changé. En octobre, on a donné une formation aux gens du Ministère de l’Agriculture.
Après on a donné un autre cours pour des gens envoyés par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Aussi, avec la COVID-19, les gens voient que ça prend différentes manières de produire. Nous avons vu qu’on peut produire 2 à 4 fois plus avec l’agriculture biologique qu’avec des engrais chimiques !
Vous étiez en avance sur votre temps!
Oui. Il y a beaucoup d’autres centres de formation au pays, mais on est les seuls à être 100 % biologiques. C’est une des choses qu’on amène à la table et que les autres n’amènent pas.
En 2002, on était aussi bien occupé à promouvoir la culture sans OGM. J’étais pas mal à l’avance, encore, mais maintenant beaucoup de gens voient le problème que représentent les OGM.
On est aussi alignés avec Laudato Si et la quatrième préférence apostolique universelle : prendre soin de notre maison commune. C’est consolant de voir qu’on travaille avec la même idée que l’Église catholique.
« Le Bon Dieu a été vraiment bon pour moi. »
Plusieurs Canadiens ont soutenu financièrement le travail du frère Desmarais et du centre de formation agricole de Kasisi via l’organisation Canadian Jesuits International.