La COVID-19 a frappé partout sur la planète, mais pas de la même manière. Les écarts entre les pays du Nord et ceux du Sud, et entre les privilégiés et les plus vulnérables au sein d’une même société, comme ici au Canada, ont été durement mis en lumière par la crise.
Quels sont les besoins les plus profonds auxquels les jésuites et leurs collègues au Canada devraient répondre ? Comment travaillent-ils dans la province et à l’international pour plus de justice ? Jenny Cafiso (directrice du Canadian Jesuits International), Norbert Piché (directeur national Service jésuite des réfugiés) et Élisabeth Garant (directrice générale du Centre justice et foi et de la revue Relations) décrivent la situation des plus vulnérables .
Comment les œuvres jésuites peuvent-elles répondre à la crise? En aidant à nourrir l’intériorité des gens et à trouver un sens plus profond au niveau individuel et communautaire ainsi qu’en identifiant les causes des injustices systémiques pour que la lutte pour le bien commun (pendant et après la pandémie) soit durable.
La situation mondiale
«La pandémie a été dévastatrice pour les individus et les pays, quels que soient leur richesse et leur statut. Mais elle a également mis en évidence de profondes fissures dans notre société. Ses effets ont été ressentis en particulier par les membres les plus faibles de chaque société, y compris la nôtre. Ses effets dévastateurs sur les pays qui souffrent déjà de pauvreté structurelle et de services de santé inadéquats deviennent maintenant pleinement apparents. On craint déjà la réalité de l’après-guerre, qui pourrait signifier la suspension du droit du travail, la perte de la protection de l’environnement et la famine», de dire Jenny Cafiso en expliquant les conséquences de la pandémie ici comme dans les autres pays.
«Les histoires que nous racontent nos amis et collègues d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine à propos de COVID-19 sont à la fois choquantes, profondément émouvantes et inspirantes», dit-elle:
En Inde, des centaines de milliers de travailleurs migrants ont été mis en lock-out du jour au lendemain. Certains se sont effondrés et sont morts sur les routes alors qu’ils marchaient des centaines de kilomètres pour atteindre leurs villages. La famine est devenue une réalité pour des milliers de personnes.
Le président de la conférence des jésuites d’Amérique latine, en sanglotant, nous a fait part de sa crainte que COVID-19 ne conduise à la destruction de populations autochtones entières en Amazonie. Le Brésil est aujourd’hui le quatrième pays le plus lourdement touché par les décès dus à la COVID-19. Les communautés autochtones le long du fleuve Amazone sont particulièrement vulnérables. Il est urgent d’apporter une assistance médicale dans les villages et de défendre les intérêts de ces communautés.
Mme Garant abonde dans le même sens: « La crise sanitaire que nous traversons avec la pandémie de la COVID-19 s’avère être un révélateur puissant des fractures sociales et des inégalités qui existent dans nos sociétés.» C’est le cas par exemple à Montréal.
Les précarités vécues au quotidien par les groupes fragilisés ou discriminés au sein de la population – personnes aînées, itinérantes, autochtones ou immigrantes – ne peuvent plus être ignorées comme nous le faisions collectivement jusqu’à maintenant, malgré les dénonciations nombreuses faites en regard de ces situations avant la pandémie. Le nombre de cas et de morts qui sont recensés jour après jour, tout comme l’accès inéquitable aux ressources qui nuit à la protection adéquate de plusieurs quartiers de Montréal ou de certaines régions, nous obligent à prendre à bras-le-corps les enjeux que nous maintenions dans notre angle mort.
Un des exemples significatifs de cette prise de conscience à faire est la situation de Montréal-Nord où vivent de nombreuses personnes racisées, notamment haïtiennes et maghrébines, comme le rappelle l’excellent entretien de mes collègues du secteur Vivre ensemble avec Bochra Manaï, directrice de l’organisme Parole d’exclu.e.s. La déqualification professionnelle et la précarité de statut vécues par de nombreuses personnes migrantes les amènent à combler les besoins de la société québécoise, notamment dans le domaine des préposés en santé, qui sont des postes exigeants et sous-payés. Leur présence en grand nombre à Montréal-Nord explique en partie le taux plus important de risque communautaire de contagion.
Réponse des œuvres jésuites à l’international
Les jésuites et leurs collègues ont rapidement pris conscience du nouveau contexte relié à la pandémie, et ont commencé à répondre aux besoins des gens. Ainsi, Mme Cafiso détaille qu’en Inde, «les jésuites réagissent en fournissant une aide alimentaire, des soins de santé, une éducation à la prévention et en défendant les intérêts des travailleurs migrants et des salariés journaliers.» De plus, en Afrique:
Les jésuites aident les personnes pauvres et vulnérables dans au moins 25 pays, rejoignant quelque 24 264 familles, en leur fournissant de la nourriture, des soins de santé et du matériel de protection. Ils ont également évoqué la nécessité de renforcer la résilience, la sécurité alimentaire à long terme et de remédier aux inégalités économiques structurelles. La Banque mondiale a prédit que le coronavirus poussera 40 à 60 millions de personnes dans l’extrême pauvreté dans le monde et que l’Afrique subsaharienne sera la plus touchée.
Pour lire d’autres histoires à l’international, veuillez consulter le site de CJI.
Réponse des œuvres sociales jésuites au Canada
La crise de COVID-19 et plus largement les fractures sociales au Canada demandent également des réponses. «Les revendications portées par les organismes communautaires et de défense des droits tels qu’un salaire minimum d’au moins 15$, de bonifier les salaires des emplois à risque et d’assurer de meilleures conditions de vie dans les quartiers les moins favorisés, doivent faire partie des solutions à mettre en place maintenant et pour l’avenir», note Mme Garant.
Où sont donc appelés les jésuites et collègues dans cette situation? Selon Mme Garant:
La situation que nous vivons permet de constater que l’engagement des jésuites et la mission des œuvres fondées au fil des décennies, mais aussi les orientations qu’elles ont prises dans les dernières années, sont des atouts pour contribuer à penser l’avenir différemment. Pensons au travail d’analyse politique que fait déjà le Centre justice et foi, notamment par la revue Relations et qui indique des pièges à éviter pour la reprise.
Il en est de même pour le modèle inspirant de la Ferme Berthe Rousseau qui indique des modèles de vie, de consommation et de rapport avec l’environnement que nous avons besoin de multiplier pour la survie de l’humanité et de la Création. Même sur le plan de la réflexion sur le sens profond, qui est mis à mal par cette pandémie, les œuvres sociales et spirituelles de la Compagnie de Jésus au Canada peuvent et doivent contribuer à nourrir une intériorité dont un nombre significatif de personnes ont pris conscience à la faveur de la pandémie pour sortir de la logique marchande de notre monde.
Il faut aussi que les œuvres s’adaptent au nouveau contexte. On doit par exemple penser aux gens qui ne connaissent pas les ressources canadiennes ou n’y ont pas accès, explique M. Piché:
Le SJR maintient un contact avec les réfugiés et leurs répondants par voies téléphonique et électronique. Ce confinement est difficile pour tous, mais particulièrement pour ceux et celles qui viennent d’arriver au Canada. Ils n’ont pas les capacités langagières ni les connaissances de notre société pour pouvoir naviguer toutes les nouveautés. Nous nous tenons aussi au courant de toutes les mises à jour et les communiquent aux personnes qu’il dessert. Nous téléphonons aussi périodiquement à ces personnes pour nous assurer qu’elles vont bien et qu’elles comprennent ce qui se passe.
Pour les personnes à statut précaire qui n’ont pas accès aux programmes gouvernementaux, le SJR ajoute sa voix pour réclamer de l’aide pour ces personnes aussi, qui souvent, travaillent dans des emplois qui ne sont pas protégés, ont perdu leurs emplois, et maintenant, n’ont pas accès aux programmes gouvernementaux ou n’ont pas accès aux soins médicaux.
Notre équipe se renseigne aussi sur la manière dont la fermeture des frontières touche les demandeurs d’asile. Nous avons demandé que la frontière ne soit pas fermée à ceux qui fuient la violence par l’intermédiaire de communiqués et d’articles et avons diffusé cette information sur nos réseaux sociaux. Enfin, nous travaillons avec nos partenaires de l’Amérique centrale, du nord et des Caraïbes pour mieux répondre à cette nouvelle situation.
Pour conclure, il faut souligner que ce sont les mêmes personnes qui marchent côte à côte avec les plus touchés qui donnent espoir et courage. « Marisela, du Mexique, nous a écrit : “Je prie en solidarité avec vous. Nous partageons la même planète et nous partageons maintenant le même défi, même si c’est dans un contexte différent. Merci pour votre solidarité qui nourrit le cœur et nous donne le courage de poursuivre cette belle œuvre pour le Royaume”», termine Mme Cafiso.