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Story

« Je me suis souvent identifiée à une cheffe d’orchestre. Directrice d’une œuvre dont l’équipe est composée de personnes excessivement talentueuses, excessivement compétentes, très dévouées et passionnées de justice sociale, j’ai pu permettre que chacun des instruments, chacune des personnes dans l’équipe, arrive le plus souvent possible à se compléter harmonieusement. » C’est ainsi qu’Élisabeth Garant résume son travail des 15 dernières années comme directrice générale du Centre justice et foi (CJF), poste qu’elle quittera sous peu.

Elle sera remplacée par Oscar Benavides-Calvachi, Colombien d’origine ayant une formation juridique et de l’expérience dans le travail pour les droits humains. Ce dernier était jusqu’à récemment à la coordonnateur de Projet Accompagnement Québec-Guatemala.

Mme Garant nous a accordé une longue entrevue où elle est revenue sur l’évolution du CJF et ses moments forts depuis près de trois décennies.

Comment êtes-vous passée du « secteur des communautés culturelles » à la direction du CJF ?
Je suis arrivée au Centre justice et foi (CJF) il y a presque 27 ans maintenant. J’ai commencé dans un poste à temps partiel à une époque où le secteur Vivre ensemble s’appelait le secteur des communautés cette expression rappelle une autre manière d’aborder les enjeux d’immigration au Québec et au CJF). J’ai travaillé douze ans comme coordonnatrice de ce secteur, un poste devenu éventuellement à temps plein. Je me penchais sur une question qui me passionnait déjà: celle de l’immigration. Il faut dire qu’à la création du CJF, Julien Harvey, SJ, avait eu l’intuition, qui s’est avérée juste, que l’enjeu de l’immigration deviendrait au fil du temps, notamment pour la population francophone québécoise qui s’y intéressait peu au début des années 80, un enjeu incontournable de réflexion, de sensibilisation et de plaidoyer. Cela s’est vérifié de plus en plus à partir du moment où je suis arrivée en poste au milieu des années 90.

« Il faut dire qu’à la création du CJF, Julien Harvey, SJ, avait eu l’intuition, qui s’est avérée juste, que l’enjeu de l’immigration deviendrait au fil du temps, notamment pour la population francophone québécoise. »

Assez rapidement, j’ai eu des idées pour faire plus (plus de thèmes, plus d’événements publics). Cela m’a permis d’introduire pour le secteur Vivre ensemble la dimension des migrations internationales dont celles de la protection des réfugiés — à l’époque, le Service jésuite pour les réfugiés n’était pas implanté au Québec — ainsi que celles des droits migrants à statut précaire et d’arrimer ces questions avec la réflexion menée sur le vivre-ensemble.

photo :

La possibilité de remplacer le directeur Jean-Marc Biron, SJ, s’est présentée après 12 ans de travail à la coordination, alors que j’étais prête à relever un autre défi. Je suis directrice depuis déjà quinze ans.

J’ai donc vécu 27 ans des presque 40 ans du centre. C’est aussi 27 ans de collaboration avec la Compagnie de Jésus, dans la province et la vie jésuite, au Québec, plus particulièrement.

De ces 27 ans, quels éléments majeurs retenez-vous ?
D’abord, je voulais que le travail du secteur Vivre ensemble soit mieux reconnu dans l’ensemble de notre travail, auparavant presque uniquement connu dans la population par la publication de la revue Relations. Cela a pris du temps. Il m’a d’abord semblé important de proposer la coordination du secteur Vivre ensemble à une personne qui avait vécu la réalité de l’immigration. C’était davantage une intuition, mais j’ai compris plus en le vivant l’ampleur de l’impact du choix en nommant Mouloud Idir comme coordonnateur du secteur Vivre ensemble. Cela a permis de donner davantage la parole aux gens qui ont une expérience vivante de l’exil, et de l’immigration dans une autre société et d’aborder les enjeux du vivre-ensemble à partir de leur réalité. Les enjeux de racisme ont aussi pris une place beaucoup plus importante de notre travail, ce qui demandait beaucoup d’audace il y a dix ans, alors que le CJF était la première institution au Québec à explicitement l’islamophobie et à ouvrir un chantier de réflexion sur le sujet. L’arrivée d’Élodie Ekobena comme nouvelle membre de l’équipe du secteur Vivre ensemble a permis de poursuivre dans la même direction. Cela dit, ça leur appartient totalement d’avoir réussi à faire ce que le secteur fait maintenant et d’avoir imposé, je pense, dans le paysage des organismes communautaires du Québec, une réflexion et une parole différentes sur les enjeux du pluralisme.

« Les enjeux de racisme ont aussi pris une place beaucoup plus importante de notre travail, ce qui demandait beaucoup d’audace il y a dix ans, alors que le CJF était la première institution au Québec à explicitement l’islamophobie et à ouvrir un chantier de réflexion sur le sujet. »

L’autre élément qui a évidemment changé, c’est le fait d’être une femme laïque en poste, même si dès la fondation du CJF, les premiers jésuites ont pris à cœur la question de la « condition des femmes », comme cela s’appelait alors. Cela nous a amenés à prendre un peu plus à cœur des questions, un langage et une analyse plus proches du mouvement féministe, croisés à d’autres enjeux importants dans la vie du CJF.

Dialogue feministe interreligieux, photo : CJF

Enfin, je dirais que l’élément qui me semble le plus le plus important de ces dernières années est le fait de vivre pleinement l’appartenance à une œuvre jésuite, alors que nous sommes maintenant une équipe presque exclusivement non jésuite. Le CJF a traversé toutes ces années en étant vu et connu comme une organisation religieuse jésuite et nous avons réussi à avoir la confiance et la crédibilité du mouvement social québécois en général comme partenaires de plusieurs luttes et débats.

Au fil des quinze dernières années, sous votre direction, quel a été l’impact du CJF ?
C’est une question difficile: il n’est pas simple de mesurer la petite goutte qu’on apporte dans certaines luttes!

Je pense que le centre a contribué à être un peu à l’avant-garde de questions qui semblent incontournables aujourd’hui, comme l’écologie ou la question autochtone.

Je me rappelle des premiers événements publics sur ces questions pour lesquelles nous avions de la difficulté à mobiliser une petite douzaine de personnes, alors qu’aujourd’hui il n’est pas rare aujourd’hui de réunir un grand nombre de personnes qui se déplacent pour écouter, réfléchir, parler de la question autochtone notamment. C’est une préoccupation, comme la question écologique, qu’on ne peut plus balayer du revers de la main. Cela ne veut pas dire que ces enjeux sociaux et politiques sont réglés, loin de là, mais nous avons peut-être contribué à faire émerger une conscience sur ces sujets.

Il en est de même pour les enjeux liés au vivre-ensemble, notamment les questions par rapport à l’islam. Là encore, il reste beaucoup de chemin à faire, mais nous avons mis en place des réflexions, permis des discussions et des débats qui ont été, je crois, fructueux.

« Je pense que le centre a contribué à être un peu à l’avant-garde de questions qui semblent incontournables aujourd’hui, comme l’écologie ou la question autochtone. »

Mais nous avons aussi connu des défaites. Je suis entrée en poste avec le dossier de la laïcité, il y a 27 ans. Pendant les douze premières années, j’ai eu l’impression de vraiment contribuer à écrire un modèle de laïcité au Québec qui aurait pu influencer différemment la façon de le vivre. Et je pars alors que tout est à l’opposé de ce que je souhaitais.

Quelles consolations retenez-vous ?

Je dirais que les anniversaires (du 70e au 80e en passant par le 80e) de la revue Relations ont été de très beaux moments. L’équipe de production de la revue (alors principalement composé de Jean-Claude Ravet, Catherine Caron et Emiliano Arpin-Simonetti) était à son summum d’expérience et d’énergie. Il est fascinant de penser que nous sommes une des équipes qui a contribué à cette histoire, exceptionnellement longue pour un média francophone publié sans interruption au Québec. Et je suis impressionnée de la qualité du contenu et de la beauté de la présentation de la revue, un tour de force que parvient à réaliser une si petite équipe à chaque numéro.

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Entre autres beaux moments, je suis assez content de l’exposition QuébécoisEs, musulmanEs… et après ?, menée avec des personnes musulmanes et non musulmanes. Nous pensions présenter cette exposition de 24 photos deux fois, et finalement, il y a eu 60 présentations à travers le Québec d’une exposition qui contient aujourd’hui quarantaine de photos qui ont été produites par des démarches de conscientisation dans quelques régions du Québec.

Quel est le futur du CJF ?
Il ne faut jamais considérer nos institutions comme étant éternelles, mais je pense que le centre a encore beaucoup à apporter et que les gens qui composent l’équipe ont encore beaucoup à proposer. Dans une petite organisation, l’avenir n’est jamais assuré et j’espère de tout cœur que les jésuites continueront à penser qu’ils ont besoin de centres sociaux, une expression de leur présence et de leur mission.

Avec le recul, je considère que j’ai peut-être été une direction de transition. Je connaissais bien le réseau du christianisme social plus ancien, assez bien pour qu’il suive le CJF dans ses nouvelles découvertes et propositions. Une nouvelle étape s’ouvre avec mon successeur, Oscar Benavides-Calvachi, qui arrive avec une expérience de l’engagement pour la justice sociale au nom de sa foi chrétienne différente de la mienne, mais extrêmement riche et courageuse. Je trouve que mon successeur arrive bien à ce moment de transition, alors que nous essayons que le CJF soit aussi un espace pour que des plus jeunes personnes se réapproprient l’histoire de l’engagement d’une mouvance sociale chrétienne au Québec, mais réinventent aussi autrement leur propre engagement. Je le vois beaucoup à travers le projet « Avenir du christianisme social au Québec », que coordonne Ariane Collin depuis déjà trois ans. Elle a notamment ouvert de nouvelles pistes avec des espaces d’exploration pour des plus jeunes et, avec l’aide de Frédéric Barriault, une mémoire virtuelle, vivante, du christianisme social au Québec (mcsq.ca) a aussi été créé.

« Je trouve que mon successeur arrive bien à ce moment de transition, alors que nous essayons que le CJF soit aussi un espace pour que des plus jeunes personnes se réapproprient l’histoire de l’engagement d’une mouvance sociale chrétienne au Québec, mais réinventent aussi autrement leur propre engagement. »

Quinze ans, c’est long comme direction, alors c’est toujours bon d’avoir un regard neuf et différent pour une organisation. Je trouve que c’est le bon moment pour moi de quitter mes fonctions et de trouver d’autres façons d’appuyer le CJF dont l’équipe et la mission suscitent toujours mon admiration.

Merci, Élisabeth. Ce fut un plaisir de faire cette entrevue et de te côtoyer. Bon repos, et bons nouveaux projets!

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